Bonjour,
(Premier message pour moi aux Ateliers.)
J’écoute les podcast avec un décalage, et j’avais envie de réagir à celui-ci :
Ce podcast est jusqu’à présent mon préféré. L’enthousiasme, l’énergie, la bonne humeur et l’émerveillement qui s’en dégagent sont tout simplement fabuleux ! Et je dirais que c’est peut-être bien effet du meujeutage à deux. Comme Steve, j’ai une expérience de la maîtrise à deux mj (et plus si affinités) que j’ai envie de partager. J’ai conduit des parties et des campagnes en maîtrise à plusieurs depuis quelques années. Avec des amis (généralement) et avec des inconnus (une fois), sur plusieurs jeux (Kult, Agone, ADD2, DD (3-3.5), jeux maisons), avec des répartitions des rôles différentes. Et je rejoins tout à fait l’avis de Morgane et Maxime : c’est du bon, mangez en. Vi.
Je vais même en rajouter : c’est beaucoup moins contraignant qu’annoncé. Surtout sur la question de la préparation. Morgane et Maxime présentent leur façon de conduire Sens, dont une des caractéristiques est le meujeutage à 2, mais — bien évidemment — ce n’est pas pour cela que tout dans leur choix découle de cela. Il y a là un choix de style de jeu (qui je crois résonne avec le parti du jeu en lui-même), une implication, une volonté d’aller loin superbes. Cependant, un meneur seul peut tout à fait s’investir autant et un meujeutage à 2 peut se faire très bien avec une préparation bien moindre.
Pour meujeuter à deux, j’affirme qu’il n’est pas nécessaire de vivre ensemble, ni même d’être particulièrement proche. Seulement d’être d’accord. Je dirais même que lorsque l’on devient trop proche dans sa vision du jeu, l’on amenuise l’une des richesses de la co-maîtrise : les différences.
La répartition des fonctions du meneurNous n’avons pas toujours réparti les tâches de la même façon entre les co-mj. Petit panorama de choses que nous avons essayées :
- Une répartition « classique » : chacun assure toutes les tâches du meneur et on veille à ne pas se marcher sur les pieds. Les pnj sont répartis soit à l’avance soit au vol, mais ça ne fait pas de tort d’anticiper les dialogues / confrontations intéressantes.
- Un meneur principal (règles, monde, pnj mineurs), l’autre acteur des principaux PNJ. Si ce dernier n’a pas participé à la préparation, c’est un PNJ au sens GN, un acteur de PNJ au service du MJ. (À voir si l’équipe préfère opérer à base de pnj avec background et motivations, presque un pj pré-tiré temporaire, et/ou avec un but sur l’effet à produire sur les joueurs / l’histoire.)
- Un co-mj uniquement pour la préparation de partie, mais pas pour la partie elle-même. Conseiller technique, public pour tester des trucs, vérificateur de cohérence, coach, …
- Durant la partie, un meneur qui observe et se repose, l’autre qui mène. Et puis : relais.
- Un meneur-fiction (monde, pnj, trame narrative) et un meneur-règles. S’il n’a pas participé à la préparation, il peut être également joueur, sinon on s’embête un peu. Pas génial pour les approches ludistes.
- Un meneur et un arbitre. Proche du précédent, ça permet au meneur de jouer une opposition sincère et sans retenue. Plus adapté au ludisme. Contrairement au cas précédent, l’arbitre peut difficilement être un joueur.
La préparationPréparer une partie à 2 n’est pas nécessairement plus long ou plus difficile. Il n’est pas non plus nécessaire d’être particulièrement complice ni de se voir en permanence pour obtenir une bonne partie. Une de mes parties les plus extrêmes à deux meneurs fut à Kult, avec un co-mj que je ne connaissais pas (et par après que je n’appréciais d’ailleurs pas particulièrement) et des joueurs tirés sur la table des monstres errants. Nous connaissions tous les deux le bouquin et le scénar d’initiation, mais nous n’avions jamais maîtrisé Kult ni l’un ni l’autre. Nous nous sommes concertés une demi-heure (pas plus, les joueurs attendaient juste à côté), histoire de revoir les grandes étapes du scénar ensemble, de se concerter sur une approche commune et de se répartir les rôles. Nous avons expliqué le jeu à deux, pris en charge chacun la moitié des joueurs pour la création de perso et puis nous nous sommes lancés. La partie fut excellente.
Je préfère largement préparer mes parties à deux : ce n’est pas nécessairement plus long et c’est beaucoup plus agréable. Cela brise la solitude habituelle du meneur. Que ce soit à partir d’un scénario existant, l’invention d’un scénario ou un bac à sable, il y a finalement plus dans deux têtes que dans une. On va plus vite. Et comme c’est agréable — c’est vraiment une autre phase du jeu — on va plus loin. (Et donc, parfois, cela prend effectivement plus de temps, mais ni pour la même expérience de préparation, ni pour le même résultat). J’ai maîtrisé avec un ami une partie de campagne medfan style bac-à-sable hebdomadaire pendant quelques années, nous préparions simplement la séance dans la voiture pour aller à la partie. Ce que je n’aurais pas su si bien faire tout seul.
La préparation à deux demande évidemment d’être en phase sur le jeu. Au début d’une suite de séances, il y a parfois une période d’accordage. Qui se fait autant en préparation qu’en partie. Par contre, comme nous sommes à deux à lire, à interpréter, à réfléchir, à rebondir l’un sur l’autre, le jeu en lui-même est plus vite digéré.
Avec deux meneurs, il y a des surprises pour chacun aussi pendant la préparation, cela enrichit les parties et c’est jubilatoire. On gagne aussi du temps pour tout ce qui est recherche ou préparation du matériel de jeu.
Avec deux meneurs, l’on peut laisser plus de questions en suspens pour les résoudre en jeu. Les confrontations de pnj peuvent être jouées plutôt que planifiées. Le bénéfice : c’est plus vivant. (Le risque : oublier de laisser leur place aux joueurs. Mais ce n’est finalement pas différent d’un maîtrise seul.)
Pour moi, la seule réelle contrainte supplémentaire par rapport à la préparation en solitaire est qu’il faut trouver un moment pour se voir ou se joindre. Mon expérience est qu’il faut se voir. Par mail, cela peut fonctionner pour une partie ponctuelle au milieu d’une campagne qui roule, mais sinon c’est trop long et trop peu spontané. Par téléphone… je n’aime pas le téléphone, mais ça fonctionne. Par messagerie instantanée, ça prend des plombes et ce n’est pas satisfaisant pour moi. Je suppose que par Skype/Hangouts/Mumble/… ça doit bien aller aussi.
Durant la partieDurant la partie, les co-meneurs ne sont pas télépathes. Il faut accepter les petites erreurs, les incompréhensions. Ce n’est pas différent des incompréhensions mj-pj classiques (« Quoi, les gardes sont là depuis le début ? » / « ah oui, c’est vrai, tu es en scaphandre ») et je n’ai jamais eu de problème avec ça. Un rapide aparté entre meneurs peut aussi résoudre beaucoup de choses. Dans mon expérience, cela reste toutefois très peu fréquent.
Le revers du revers de la médaille, c’est les surprises entre mj. Je vois vraiment cela comme un avantage, cela garde le jeu frais et dynamique. Ce qu’il faut éviter, comme dit dans le podcast, c’est que les meneurs ne jouent qu’entre eux. Il faut laisser aux joueurs leur place.
En tenant compte de cela, les meneurs peuvent toutefois « s’affronter » via le jeu. Là on retrouve le classique conflit d’intérêt du meneur : arbitre ou adversité. Mais multiplié par deux. Cela peut être intéressant comme dangereux, cela dépend essentiellement l’attention continue portée au plaisir de chacun. (Je pense qu’une source du danger vient du fait qu’on a un contrat social à deux étages : mj1-mj2 et mjs-pjs, alors quand on part, comme souvent, dans du tacite…). Un exemple concret : un bac à sable où — entre autre (et c’est important) — les mjs définissent deux grandes factions, et s’occupent chacun d’essayer de convaincre les pj de les rejoindre. Chaque faction pourra être jouée à fond, beaucoup plus facilement qu’avec un seul mj. Évidemment, une séance pnj vs. pnj ce n’est pas toujours très intéressants pour les joueurs. (Quoique, parfois les joueurs choisissent avec plaisir le rôle de spectateurs. Par exemple s’ils ont longtemps et durement manigancé pour organiser la confrontation.)
Dans ce cadre, des meneurs rodés et en confiance peuvent même se préparer des surprises comme on le fait pour les joueurs ordinaires. La différence que cela fait est celle du choix : les pnj sont joués et prennent leur décision avec le brouillard de guerre, plutôt qu’une décision en posture d’auteur. Les pnj deviennent alors plus vivants. C’est une direction parfois intéressante à explorer. Il faut particulièrement faire attention à ne pas écraser les joueurs. (Ou alors il faut aller encore plus loin et passer à du jeu en troupe ou à narration partagée.)
Lorsque les deux mj jouent simultanément le rôle de l’adversité aux pj, le jeu devient d’une certaine manière plus symétrique qu’avec un seul meneur. Les meneurs peuvent à deux mieux gérer les pnj et offrir un réel challenge stratégique, plus vivant que celui offert à un seul meneur où la richesse de réflexion et de connaissance des personnages des joueurs doit être contrebalancée par une stratégie pré-établie, des capacités plus importantes, l’omniscience du meneur.
Un avantage tout simple d’avoir deux meneurs, c’est de pouvoir accepter plus de joueurs. Nous avons ainsi parfois mené ce que nous appelions des « grandes tables » avec 10-12 joueurs. Dans ce cadre, nous avons exploré deux directions. L’une était un grand bac-à-sable simulationniste et il s’agissait essentiellement de tractations entre les pj et des effets de leurs décisions. Cela faisait un peu murder party / GN. La seconde était un dungeon crawl. Dans les deux cas ce fut un franc succès.
Comme dit dans le podcast, les deux meneurs gèrent plus facilement ce qui prend du temps (consultation de règle, gestion compliquée, …), peuvent se spécialiser, se relayent quand ils fatiguent, peuvent simultanément s’addresser aux joueurs et faire autre chose (mettre de la musique,, faire une recherche sur internet, …), peuvent gérer en parallèle les pj séparés.
Parler à deux voix permet à la fois de maintenir un contact plus constant avec la fiction et, de temps à autre, de surcharger cognitivement les joueurs. L’exemple du podcast est tout bon. Cela fonctionne très bien également avec un meneur qui anime le monde et un autre qui se place derrière un ou plusieurs joueurs et joue leur conscience / la folie / l’effet d’un charme / …
Pour conclure, je ne puis que vous encourager à essayer cette pratique / technique. C’est agréable, intéressant, on apprend toujours de son co-mj, et cela donne de bonnes parties !
Et maintenant il me reste à lire le pdf de Morgane et Maxime qui vient de sortir :D
Philippe