Merci à vous Frédéric et Steve, c'est très instructif.
Je retiens ces notions de contrat sociaux a priori dysfonctionnels : l'approche goguenarde, l'approche "to the pain". C'est intéressant parce que je ne mettais pas de mots sur ces concepts.
J'en rajouterais une, que j'appelerais "l'approche gonzo" ou
"la surenchère horrifique", qui consiste à empiler les couches d'horreur jusqu'à ce que ça devienne grand-guignol, incohérent ou burlesque. A mon sens, c'est une approche qui peut invalider l'horreur et le sérieux qu'on recherche au départ. (ça me paraît être le contrat social par défaut de
Dés de Sang)
S'échapper des Faubourgs ne propose pas de contrat social parce qu'il invite les joueurs à s'en construire un. Dans la base, le dialogue "Je ne sais pas si j'ai envie de jouer à ce jeu. / - Trop tard, ça a déjà commencé." est une invitation à s'interroger sur les précautions nécessaires avant la partie.
Le jeu encourage à faire des descriptions "cauchemardesques" et "liées à un personnage" mais ça n'est pas pour autant une invite à l'approche "gonzo" ou "to the pain". La seule récompense est de pouvoir poursuivre sa narration une fois que ce cahier des charges "cauchemardesque" et "lié au personnage" est rempli. C'est à la table de réguler la fiction, par exemple en posant quelques règles lors du contrat social (ex : les PJ n'ont pas de pouvoirs surnaturels, les PJ ne sont pas des bourreaux, il suffit qu'une scène soit étrange pour être qualifiée de cauchemardesque, tous les monstres sont des humains, etc...).
Quand à la réflexion de Frédéric, sur le MJ pervers, je m'interroge. Quand je menais Kult, j'essayais d'aller loin parce que les joueurs étaient en demande de ça. Ils avaient signé sur la mauvaise réputation du jeu et recherchaient des sensations fortes. Je me suis rendu compte que j'attirais leur approbation quand je leur faisais rencontrer des scènes, des monstres ou des démons absolument gore, ou quand je laissais leurs persos exprimer leurs démons. A l'inverse, je rencontrais de la désapprobation quand c'était trop soft. En revanche, j'ai essayé une fois d'infliger des sévices poussés au perso d'un des joueurs (devant les autres persos, de surcroît), et je me demanderai longtemps si je ne suis pas allé trop loin. C'est mitigé. Le joueur a quitté la campagne dès le scénario suivant, mais il ne m'a jamais fait grief de ce passage, et je suis à peu près sûr qu'aujourd'hui, il serait prêt à remettre le couvert.
En revanche, je suis d'accord pour admettre qu'un MJ qui pousse les choses trop loin sans jamais veiller à l'approbation de sa tablée ne fait certainement pas une démarche qui m'attire.
Pour revenir à la réflexion de Steve sur les PJ bourreaux, oui je serai heureux si tu veux développer. Pour ma part, si je voulais te donner raison, je dirais que ce genre de PJ peut encore permettre à son joueur de ressentir la tension horrifique dans certains cas : si le joueur arrive encore à plaider pour son personnage (soit parce qu'il lutte contre ses démons - c'est complètement le cas de mon perso dans la partie de son podcast - , soit parce qu'il commet des sévices pour une cause qu'il estime juste) ou si son perso se retrouve lui aussi confronté à un antagonisme qui le dépasse (dans ce
compte-rendu d'Inflorenza, un des persos, une sorcière, persécute les autres tout au long de la partie mais se retrouve entraîné dans une mine hantée où vivent des démons plus forts qu'elle).
Sinon, je ne sais plus ce que j'ai dit dans le podcast au sujet de l'horreur en narration partagée (je le réécouterai dès que je pourrai). Aujourd'hui, je dirais que l'horreur est possible en narration partagée, mais en terme de game design, c'est plus difficile à mettre en place. Dans
S'échapper des Faubourgs, c'est possible parce que les autres joueurs vont décrire des éléments d'aversité ou reprendre les éléments que tu as décrits contre toi. Dans
Perdus sous la pluie, c'est possible grâce à des phrases rituelles telles que "il ne reverra plus jamais ses parents". En règle générale, je pense qu'encore plus qu'avec un jdr tradi, les joueurs doivent être de bonne volonté, doivent accepter la tension horrifique (parce qu'ils l'ont décidé lors du contrat social, ou parce qu'elle se présente de façon imprévue en cours de jeu), de façon à ce qu'elle fonctionne même dans les moments où les joueurs ont le contrôle sur le décor et les PNJ.