Sens et l'Alchimie

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Sens et l'Alchimie

Messagepar Clappique » 03 Mar 2014, 14:44

"Le monde est aujourd'hui sans mystères, la conception rationelle prétend tout éclairer et tout comprendre; elle s'éfforce de donner de toute chose une explication positive et logique, elle étend son déterminisme fatal jusqu'au monde moral. Je ne sais si les déductions impératives de la raison scientifique réaliseront un jour cette préscience divine, qui a soulevé autefois tant de discussions et que l'on a jamais réussit a concilier avec le sentiment non moins impératif de la liberté humaine. En tout cas l'univers matériel est aujourd'hui revendiqué par la science, et personne n'ose plus résister face à cette revendication. La notion du miracle et du surnaturel s'est évanouie comme un vain mirage, un préjugé surrané."

M. Berthelot, Les Origines de l'Alchimie, 1885


Je découvris ce vieux mémoire poussiéreux dans les archives de la Bibliothèque Nationale de France.
Les commentaires d'une certaine M... au sujet d'un obscur alchimiste arabe au nom difficilement mémorisable avaient en effet éveillé mon intérêt (s'agissait-t-il du dénommé Abdul Al Azred, dit "le fou"? Mais je crains de me tromper...); un alchimiste donc, dont la pensée semblait très proche par certains aspects des thèmes abordés par la rune de Néant. Piqué par la curiosité, je me mis à la recherche d'ouvrages de vulgarisation sur le sujet, mon ésprit cartésien ne m'ayant jamais poussé vers de tels objets d'étude à la limite du sérieux. C'est avec une certaine appréhension que j'intérrogeais l'archiviste (un homme ma foi fort sympathique, grand amateur de sérénades du siècle dernier), qui eu le tact de m'indiquer la séction dévolue aux sciences "occultes" sans l'ombre d'un sourire. Une fois parvenu au sommet d'un des rayonnages vertigineux de la bibliothèque, je parvins à m'emparer de l'ouvrage d'un certain M. Berthelot, livre dont la tranche, rendue quasiment illisible par le passage du temps, me laissait avec difficulté saisir son titre, à savoir, Les Origines de l'Alchimie. Malgré l'état de l'ouvrage (j'eu d'ailleurs l'impression que la couverture avait été grattée afin de la rendre illisible, sans doute quelque facétie de collégien mal dégrossis), je jugeais néanmoins idéal d'entamer mon étude des arts alchimiques par l'approfondissement de leur origine, ou pour ainsi dire, de leur cause première.
Quoi il en soit, ce livre ne peut être tombé entre mes mains par hasard... Ce que raconte ce Berthelot est trop proche du récit de Sens pour qu'il ne s'agisse que d'une coincidence.
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Re: Sens et l'Alchimie

Messagepar Morgane » 03 Mar 2014, 15:48

Cher ami,

Votre publication n'est peut-être pas tombée dans mes main par hasard non plus. Pardonnez l'approche cavalière de ma plume mais ce titre... ce titre ne pouvait qu'attiser ma curiosité. L'alchimie est un terrible appât pour mon esprit. Permettez que je me réjouisse de votre découverte, et du chemin que vous empruntez. Mes propres pas me poussent sur ce même versant.

La faute en revient à Sens Néant... et à Jabir ibn Hayyân. Est-ce à lui que vous pensiez au début de votre article ? On le qualifie, peut-être un peu vite, de père de la chimie. Vous le trouverez aussi sous le nom de Geber.
C'est amusant que vous partagiez vos recherches maintenant. Un ami m'a fait découvrir Gaston Bachelard, qui explore lui aussi la question de l'alchimie, mais d'un abord différent il me semble.

La question a beaucoup tourné dans mon esprit. Je crois que le problème est lié à la question du sacré. N'est-ce pas ce qu'on reproche à la science moderne ? D'avoir, d'une certaine façon, démystifié le monde ?
Je crois que l'homme a besoin de cette recherche spirituelle, fût-elle religieuse, parce qu'il ne cesse de chercher sa place dans le monde. Il ne cesse de s'interroger : Que suis-je ? Ou vais-je ? Que deviens-je ?
Cette dernière question est peut-être la plus précieuse que contienne l'alchimie. Comment se transformer ? La chrysopée, la panacée... tout ceci est un symbole. L'important n'est pas d'aboutir à la pierre philosophale, l'important c'est de devenir cette pierre. De transcender son propre état pour atteindre à un degré de connaissance et par là même... de proximité avec Dieu. L'alchimie garde un support religieux fondamental. La transcendance alchimique marche sur le même chemin que celle des soufie, si vous voulez. La recherche est avant tout une recherche de l'esprit par l'esprit. La purification des métaux est en réalité celle de l'âme.
Jabir ibn Hayyân va plus loin. Dans sa vision totalisante, l'alchimie passe aussi par le Verbe. C'est même la base absolue de son travail. Je ne veux pas m'étendre, ce serait dévier trop longuement mais c'est une question fascinante.

Pour en revenir à votre article, voici un peu ce que j'en pense.
La société moderne, scientifique, a répondu comme elle a pu aux questions existentielles : Que sommes-nous ? Des molécules, des atomes, des fibres et des oligo-éléments. C'est la vérité mais c'est une triste réponse, vous ne trouvez pas ? L'homme, dans son fort intérieur, a toujours souhaité un au delà, peut-être pour se donner un but. Il a besoin d'énigmes. Or voilà que ce but n'est pas à atteindre. On vit, on meurt, et voilà.
Mais je ne crois pas qu'on puisse priver la nature humaine de son mouvement spirituel. Alors la science est devenue, bien malgré elle peut-être, une nouvelle divinité. Pour ne donner qu'un exemple : Au Etats-Unis, le réchauffement climatique est une croyance. "Believe". Vous y croyez ou vous n'y croyez pas mais le sacré est entré de plein pied dans un sujet qu'on imaginerait pourtant très scientifique. Il est sur toutes les langues.

Je ne suis pas d'accord avec Berthelot lorsqu'il dit que le miracle a disparu et que rien ne peut plus arréter le rouleau-compresseur de la sience. (mais cela ressemble plus à un cri de désespoir qu'à une profession de foi) La nature humaine a trop besoin d'imaginer et de fantasmer pour accepter la seule vision donnée par la raison. Peut-être qu'à l'époque de l'auteur l'empreinte du positivisme est encore fraîche ? - Et entre nous, elle n'a pas fini de sécher-

J'en veux pour preuve que nous jouons, mon ami. Cela semble bien anodin et pourtant. Voilà que notre société est devenue une société ludique, et l'expression n'est pas de moi. Or qu'est ce que le jeu ? C'est se donner une quête, une mission, une exploration, toute remplie de symboles ! La société nous donne une place raisonnable et déterminée alors nous irons chercher à côté de son cadre.
Le joueur ne cesse jamais d'observer le monde, de s'observer jouant et de s'étudier.

"L'attitude ludique maintient une distance aux situations vécues qui exclut constamment un rapport au sacré qu'elle semble pourtant convoquer tout aussi constamment. C'est ce paradoxe qui irrigue les transformations contemporaines du social : nous vivons dans une société qui, à la fois, aspire à retrouver quelque grand système de significations compensant ceux dont la modernité l'a affranchie, et en même temps développe des attitudes et produit des œuvres valorisant le jeu, l'humour, la dérision, voire le cynisme, qui semblent devoir condamner toute tentative dans ce sens".

Patrick Schmoll, Relire Jacques Henriot à l'ère de la société ludique et des jeux vidéo, 2013

Ce passage ne cesse de m'évoquer la figure de Classis. Sens est peut-être une oeuvre alchimique ?


Bien à vous.
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Tiens, voilà du matos, voilà du matos, voilà du matos (pour Sens)

"Aucun fait n’existe, à vrai dire, comme vérité indiscutable et contenue, bornée ; ne serait-ce qu’à travers le filtre des sens, de la conscience, le réel se dérobe toujours, ultimement, à son constat. "
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Re: Sens et l'Alchimie

Messagepar Clappique » 03 Mar 2014, 17:31

Chère consoeur,

Je vois que mon inquiétude quand à la préservation de votre anonymat n'avait pas de raison d'être, et suis heureux de voir qu'une telle précaution a été balayée par votre enthousiasme somme toute communicatif. C'est effectivement suite à votre remarque au sujet de Gebber (je crains de ne jamais me faire à la complexité orthographique de l'Arabe classique) que je me suis lancé dans mes recherches sur l'alchimie.
Vos réfléxions au sujet de la nature même de l'alchimie me montrent à quel point je demeure un novice en cet art, bien que j'entrevois déjà de nombreux points communs entre vos analyses et le contenu de mes découvertes. Si mes déductions s'avèrent correctes, Sens est effectivement une oeuvre alchimique, ou pour être plus exact une oeuvre neo-alchimique.

Je crains que l'ouvrage de M. Berthelot ne me permette pas encore d'aborder la pensée des alchimistes arabes, ce dernier ayant en effet justement considéré l'étude des origines de l'alchimie comme l'étude des arts alchimiques pré-arabes. Cette approche me semble résulter d'une forme d'ethnocentrisme regrettable de la part de l'auteur, qui considère (sans doute à tort) que les alchimistes arabes ont apporté bien peu d'innovations aux travaux des alchimistes de la période classique.
Néanmoins, le fait que Gebber identifie l'alchimie et le Verbe créateur me semble constituer une avancée considérable, et qui s'avère particulièrement importante dans le cadre d'une réflexion sur Sens. Charles V (mes références semblent bien poussiéreuses en comparaison des votres) ne disait-il pas que "posséder une autre langue, c'est posséder une autre âme"? C'est d'ailleurs sans doute à l'univers de Sens que cette sentence s'applique le mieux, puisqu'on n'y parle qu'une seule et unique langue.

Bien à vous.
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Re: Sens et l'Alchimie

Messagepar Clappique » 03 Mar 2014, 18:35

Les thèses exposées par l'auteur des Origines de l'Alchimie dans l'incipit de son mémoire (reproduit çi-dessus) ne pouvaient manquer de me rappeler, de façon très curieuse, celles de Mme Sollipsis.

J'entamais immédiatement des recherches sur ce M. Berthelot, dont le nom ne me semblais par ailleurs pas inconnu. Je trouvais en effet rapidement une documentation abondante à son sujet. Berthelot, Marcellin de son prénom, né le 25 octobre et mort le 18 mars 1907, avait été un homme politique influent sous la IIIeme République. Il était en outre un scientifique de renom, chimiste de son état, un champ d'étude qui en cette fin de XIXeme siècle au cours de laquelle Berthelot avait vécu, m'apparaissait comme une forme de proto-biologie. Cet homme publique avait en outre fait montre vers la fin de sa vie d'une certaine exentricité. Il avait notamment fait construire à Meudon, une ville de la banlieue parisienne, une tour destinée à acceuillir un grand nombre de plantes, afin d'y réaliser des expériences, des plus loufoques (observer leur comportement en fonction de l'altitude) aux plus inquiétantes (utiliser de l'électricité pour influer sur leur développement). Fort de ces similitudes, et rassuré quand à la rigueur scientifique de l'auteur du mémoire dont les cendres reposent désormais au panthéon, j'entamais ma lecture.
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