Plop à tous !
Tout comme paragon, je n'ai pas encore l'écran car j'attends le prochain tome pour faire moi aussi une commande groupée. Donc, ma participation, pour le moment, sera basée plutôt sur le podcast que sur le supplément.
Ceci dit, je vais déborder car il y a beaucoup d'éléments dans vos interventions (peut-être plus que vous ne le soupçonnez !)
Nous partons donc de la définition du langage que propose Kco selon sa lecture de Wittgenstein. Je pense qu'il est important de faire attention à ceci : tel que je le comprends, Wittgenstein ne s'intéresse pas au langage pour lui-même, mais en tant qu'outil d'explication et d'interprétation du monde - bref, en tant qu'outil philosophique. Il ne cherche à faire ni le travail d'un grammairien, ni celui d'un sémiologue - et encore moins d'un philologue.
De ce que j'ai compris, il s'intéresse donc à "l'ergonomie" du langage, pourrais-je dire, en tant qu'instrument.
Néanmoins, ici, tu ne parles pas du langage seul, mais de bien d'autres choses : ainsi, il y a le thème de la transmission de la pensée lors de l'échange, avec le souci de la bonne transmission et de la bonne réception du message (sur ce point, je t'engage, si ce n'est déjà fait, à te renseigner sur les théories de l'Ecole de Palo-Alto et de l'Ecole de Francfort des sciences de la communication - en particulier Gregory Bateson, l'un des précurseurs. En effet, pour eux, la communication ne peut avoir lieu que dans un modèle systémique, incorporant les éléments que tu as mentionnés, y compris le langage non-verbal, ainsi que le contexte tel qu'en parle paragon.)
Un point où je ne suis pas nécessairement d'accord avec toi, c'est celui selon lequel il faudrait traduire la pensée en langage : beaucoup de cognitivistes soutiennent encore la thèse inverse, qui est qu'il n'existe pas de pensée hors du langage (as-tu déjà essayé de penser sans les mots ? as-tu déjà réussi à "imaginer" - en image - quelque chose dont le terme qui le recouvre ne te vient pas instantanément à l'esprit ? ces chercheurs en sciences cognitives soutiennent que le mot vient avant l'image.)
En effet, si on a à l'esprit une maison sans penser au mot maison, comment savoir si l'image représente bien une maison ? Cela peut représenter une chose qui
ressemble à une maison, sans l'être. L'objet-maison n'existe dans ma tête que parce que j'associe le terme-maison au concept-maison. Sinon, ce n'est pas une maison, mais simplement une forme colorée, qui n'est, en fait, rien du tout d'autre qu'une forme colorée.
Un bébé qui n'a pas appris à parler, pourra t-il imaginer une maison, puisqu'il ne sait pas ce que c'est ? Evidemment, cet argument est limité : comment peut-on demander au bébé de rendre compte de cela, puisque justement il ne sait pas parler ? D'où la difficulté sur cette question.
Il reste que la théorie selon laquelle, dans l'esprit humain, une chose ne peut exister sans le mot qui lui correspond, est toujours d'actualité.
Après tout, comment peut-on connaître une chose si l'on ne sait pas comment elle se nomme dans sa langue maternelle ? Ainsi, l'enfant apprendra à reconnaître les choses en même temps qu'il apprendra leur nom ; et de même, comment peut-on penser à quelque chose que l'on ne connaît pas ?
Un concept, c'est justement cela : l'alliance entre la notion, et le terme qui la recouvre.
Ce qui fait que je suis, de fait, d'accord avec ce qu'avance paragon ainsi :
paragon a écrit:En fait tout est langage car tout est expression de réel plutôt que d'être le réel. Embrasser ou frapper quelqu'un est un langage et dès lors les implications du tractatus sont infinies.
Revenons à ta réflexion, Kco. Tu as pris l'exemple d'une sensation primaire, le goût (" Lorsque j'exprime la phrase « les fruits secs sont amères » "), qui est difficile à étudier :
En cela, il faut ne pas faire la confusion entre la perception, - la sensation du goût elle-même -, et la pensée qui en naît. Car, si l'on pense avec des mots, il n'en reste pas moins que cette pensée est, dans le cas présent, la traduction d'une perception, ce qui n'est pas toujours le cas (quand je réfléchis aux théories de la communication, je ne fais pas appel à des sensations, mais à des concepts, même si ces concepts sont nés de l'observation du comportement humain.)
Et, dès que l'on parle de perception, il y a un piège : en effet, on dit par exemple "cela a un goût de citron", sauf qu'il n'y a pas deux citrons qui auront exactement le même goût : l'un sera plus acide, ou plus sucré que l'autre, par exemple. Et de même, deux êtres humains ne ressentiront peut-être pas tout-à-fait la même chose si on leur dépose du sel sur leurs langues (notez que, bien que grammaticalement incorrect, j'insiste sur ce pluriel : ils n'ont qu'une seule langue chacun, mais j'insiste sur la distinction des deux appendices sensoriels : les deux individus éprouvent chacun une sensation qui leur sera propre.)
Et ici, ce n'est plus un problème de langage, mais de perception.
Reste que, si personne ne perçoit la même chose, le langage peut-il encore nous permettre de communiquer ? N'est-il pas impuissant à rendre compte de ce que l'on ressent ?
Tout cela, ce sont des questions que Wittgenstein, même s'il ne les pose (peut-être) pas en tant que telles -( je l'ignore encore, en fait, n'étant pas encore parvenu à convaincre mon libraire à quel point un rayon des œuvres de Wittgenstein constituerait l'apothéose, et, si j'ose dire, la cerise sur le monumental et crémeux gâteau qu'est sa fabuleuse, délicieuse, et succulente boutique !) -, sont intrinsèquement liées au problème qu'il pose, en ce sens qu'il se penche sur le langage en tant qu'outil pour rendre compte du monde tel qu'on le perçoit, et même, non pas tel qu'on le perçoit, mais tel qu'il est non seulement philosophiquement, mais réellement.
Et de même que ce qui n'est pas vrai est nécessairement faux (vous connaissez quelque chose qui n'est pas vrai, qui ne soit pas faux, vous ?), soit on capable de décrire quelque chose, soit on en est incapable.
Soit c'est dictible, soit c'est indicible.
Faire intervenir le langage non-verbal n'y changera rien :
en effet, si je n'arrive pas à décrire quelque chose avec des mots (même avec un néologisme), alors comment y arriverais-je avec un autre langage ?
Pour reprendre l'exemple de la personne qui me sauterait dessus en voulant m'assommer, elle pourrait très bien exprimer cet acte avec des mots :
"Tu m'énerves ! Je suis très en colère ! En fait, je suis véritablement furieux, et j'ai envie de te frapper ! T'es qu'un espèce de -bip- !" Ou bien encore : "Je suis désolé de devoir vous molester, mais il s'agit d'un contrat : je dois vous dissuader de continuer dans votre enquête philosophique, car elle dérange mon employeur. N'y voyez absolument rien de personnel.
Business is business..."
Pour en revenir au dictible / indicible, il s'agit ni plus ni moins que de la logique de Boole : soit la proposition est fausse, elle vaudra 0 (en langage binaire, numérique, informatique), soit la proposition est vraie, elle vaudra 1.
Pour reprendre donc ce que j'en ai compris, Wittgenstein ne parle pas seulement du langage lui-même, mais du rapport entre langage et réalité, et entre langage et philosophie.
Sa thèse est que le langage usuel ne peut convenir aux objectifs, aux buts du philosophe, car il est impuissant à rendre compte du monde.
Je terminerais en concluant par une petite réflexion personnelle (du moins, elle l'était encore du temps où je n'avais pas encore entendu parler de Wittgenstein) :
"
Le langage est, par nature, tautologique. En effet, ce n'est qu'un reflet de ce qui existe. Si je dis d'une voiture qu'elle est rouge, alors qu'elle l'est effectivement, il s'agit d'une tautologie, dans le sens où je dis ce qui est déjà. Ainsi, une définition de vocabulaire, telle qu'on en trouve dans le dictionnaire, est la quintessence de la tautologie. On peut affirmer cependant que, s'il est possible d'inventer un terme nouveau pour tout concept nouveau - voire même pour n'importe quel sentiment ou sensation, alors le langage peut parler de tout. Cependant le langage n'est pas tout-puissant : nous venons de dire que toute définition est intrinsèquement tautologique, et de là, on doit déduire que le langage est impuissant à s'expliquer lui-même. Et s'il ne peut s'expliquer lui-même, il ne pourra pas davantage rendre compte de la manière dont il décrit le monde. Et c'est en quoi le monde échappe au langage."